› Accueil › Actualités vertes › Ecoblog › Bredouille… ou presque

Bredouille… ou presque

Publié le 26.07.2012 par Marie-Laure Noray-Dardenne - Voir les commentaires

Extrait du « Le Livre des Imraguen, Pêcheurs du Banc d’Arguin en Mauritanie » par Marie-Laure de Noray-Dardenne, Editions Buchet et Chastel.

Les jours de pêche se suivent, mais ne se ressemblent pas. Enfin, c’est ce que Mohamaden, le capitaine de lanche, préfère se dire en regardant le maigre butin de ce jour. Un débarquement si rapide et rien à rapporter pour le repas du soir. Juste quelques raies et une dizaine de très petits requins pris par hasard dans des filets qui ne leur étaient pas destinés. De toute façon, on ne peut plus rien en faire, les Imraguen ne les consomment pas et leur fructueux commerce n’est plus qu’un vague souvenir depuis que l’interdit de pêche a stoppé leur exploitation. Les raies et les requins sont aujourd’hui juste bons à tirer quelques ouguiyas des ghanéens et Maliens à l’affût, qui les feront fermenter dans des bacs de saumure creusés sur la plage, et dont les relents ammoniaqués empesteront tout le village...

Mohamaden et son équipage étaient partis de bon matin pour rapporter de belles courbines. C’est la saison, et le capitaine était quasi-sûr que les chenaux qu’il avait choisis étaient poissonneux ces jours-ci. Il avait posé ses filets et venait aujourd’hui, les relever. A un endroit éloigné- il fallait deux heures de voile pour atteindre le premier filet- mais prometteur, disait-on. Apparemment les courbines avaient décliné l’invitation, préférant passe un peu plus loin ou un peu plus tard, ou peut-être demain, ou peut-être jamais.

Il le sait bien, le mieux est d’oublier vite les efforts fournis pour si peu : se lever si tôt, rassembler les quatre autres membres de l’équipage, vérifier les filets à poser, l’eau douce, les vivres. Le jeune Moussa a-t-il pris assez de thé, a-t-il pensé à la menthe ? Et le grand a-t-il pris le poste de radio ? Il faut pousser la lanche, tendre les voiles, naviguer à vue, retrouver les repères, éviter les filets que d’autres ont posés, rechercher les siens. Et puis les relever avec l’art et la manière, la vivacité et l’harmonie des gestes. Lancer l’ancre au bon moment, au bon endroit. Synchroniser les efforts des uns les autres, lâcher juste les bons mots nécessaires, lancer le « ho….hisse ! » de l’élan collectif qui permet de soulever ces dizaines de mètres carrés de filets gorgés d’eau pour les projeter dans la lanche. Mais l’effort ne suffit pas, ni même le métier et le savoir-faire, il faut aussi la chance, la baraka. C’est le sort de tout pêcheur. Il lui faut juste accepter qu’aujourd’hui il en soit ainsi. Que ce soir, on mangera le poisson pêché par un autre, mais que demain, inch’allah, on nourrira tout le village.

Penser aussi, et surtout, à ces mouettes dans le ciel, à la gaieté de l’équipage, à ces gorgées de thé partagées en pleine mer, à cette lanche qui fend bien l’eau, à cette brise fraîche qui magnifie ciel et soleil. Penser joyeusement à ces dauphins vus de loin, bien plus rares qu’autrefois, qui manifestent à l’homme leur présence toujours aussi amicale.

Commentaires