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Keur Bamboung, la première AMP du Sénégal

Publié le 08.11.2012 par Bernadette GILBERTAS - Voir les commentaires

Extrait du livre « Haidar El Ali, itinéraire d’un écologiste au Sénégal » Bernadette Gilbertas, éditions Terre Vivante

Entre le fleuve Sénégal et la Guinée-Bissau, le littoral atlantique regorge d’anciens amas coquilliers, comme dans le delta du Saloum. Ces îlots paléolithiques témoignent de la grande consommation de coquillages des hommes de l’époque. Les archéologues, qui s’intéressent depuis peu à ces « restes de cuisine », ont retrouvé des fragments de poterie et des traces de foyer. Autrefois utilisés comme des nécropoles où étaient enterrées les personnes de haut rang, ils sont toujours considérés comme des lieux sacrés par les habitants du Saloum.
Les rives du bolong s’écartent. Derrière la silhouette longue, sèche et noueuse d’Ibrahima, debout à l’avant de la pirogue, je découvre le fleuve. En face de nous, un mirador. « Bienvenue à Bamboung ! » lance Jean. À son sourire immense, je sens combien il est heureux de cette réussite. C’est son bébé. Il y a passé un temps fou. Et le résultat de sa persévérance est là ! Ici, en 2002, Toubacouta, Soucouta, Sipo, Bettenti, Nema Bah, Dassilamé et sept autres villages se sont unis et ont délibéré, à l’unanimité, sur la création de la première Aire marine protégée communautaire, entérinée par décret présidentiel en 2004. Tous ont été d’accord pour y interdire la pêche – un véritable sacrifice pour les Sérères, ce peuple issu de la mer. Mais leur engagement a été si fort qu’ils ont même refusé que l’on touche à la zone-tampon, traditionnellement prévue dans toute AMP.

Du haut du mirador, Dianoune et Babacar agitent les bras, nous invitant à grimper à l’échelle et à partager un thé qui trompera quelque temps leur solitude. « Ici, on boit beaucoup dou té (du thé), m’explique Babacar. Ça nous permet de rester sans dormir pour surveiller la zone. » Dianoune et lui font partie des seize surveillants, désormais rétribués pour leur travail, qui s’y relayent pour des périodes de quarante-huit heures afin d’interdire l’accès à tout pêcheur. De là-haut, ils veillent sur un trésor : l’AMP du Bamboung, 7 200 hectares d’un écosystème fort riche, une mangrove peu touchée qui joue particulièrement bien son rôle de frayère et de nurserie à poissons.

Créer une Aire marine protégée, c’est tout d’abord en définir les contours. Installées en avril 2003 par les pêcheurs eux-mêmes, les balises avertissent clairement les pêcheurs que leurs filets ne sont pas les bienvenus. Reconvertis en écogardes, ils endossent un uniforme et consignent sur un carnet toutes les infractions commises. L’IRD – Institut pour la recherche et le développement – réalise alors pour le compte de l’Océanium un état de référence de l’ichtyofaune. Deux ans après, les mêmes chercheurs sont enthousiastes. L’interdiction de pêche a rapidement porté ses fruits : la taille moyenne des poissons a augmenté,  seize nouvelles espèces ont investi l’Aire marine, dont le thiof (Epinephelus aeneus), reproducteur lent particulièrement menacé qui fréquente la zone pendant ses premiers âges. La biomasse globale a fortement augmenté et le dauphin, le plus grand des prédateurs, capable de remonter dans les fleuves et que l’on n’avait pas vu depuis bien longtemps, a réinvesti la zone. Les pêcheurs eux aussi sont fiers : le thiof est un poisson si noble, si fort, si beau, que c’est le nom que l’on donne aux jeunes hommes, particulièrement à Dakar…

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